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Tous au bureau ? Faut voir…



Tribune de Catherine Sabbah.

Êtes-vous retournés, ventre à terre, au bureau, ravis de quitter enfin le confinement et ceux que l’on a un peu trop vus depuis deux mois ? Avez-vous pris le temps d’allonger le trajet, enfin libre, et faire, un peu, l’école buissonnière en cette rentrée exigée des uns, conseillée aux autres ? Ou bien êtes-vous toujours chez vous, déconfinés, mais pas tout à fait, faute de travail ou sur ordre de ne toujours pas bouger au moins pendant les heures de travail ?

Salariés et indépendants, employés de petites et grandes entreprises ne sont, cette fois encore, pas logés à la même enseigne. Ni tous les métiers. Pour combien de temps ? Personne n’en sait rien, d’autant que la distanciation désormais de rigueur va remettre en question – peut-être pour longtemps – la densité d’occupation des bureaux, parfois l’une des raisons qui nous fait détester ces espaces de travail.


L’expérience grandeur nature du télétravail permanent et presque généralisé a sans doute donné des idées à des chefs d’entreprise, et plus encore aux directeurs immobiliers. Pourquoi continuer à louer ces centaines de milliers de mètres carrés de bureaux si leurs usagers rechignent à venir y passer leurs journées ? Pourquoi avoir installé cuisines, bibliothèques et canapés dans les immeubles tertiaires « humanisés », si les salariés préfèrent les leurs ? Le groupe PSA a déjà annoncé une généralisation du télétravail pour la R&D, les métiers administratifs et commerciaux (Lire l’article) et prévoit de proposer à ses salariés de ne plus venir au bureau qu’un à deux jours par semaine. Twitter à San Francisco annonce laisser désormais le choix à ceux qui exercent les fonctions qui le permettent, de ne plus, jamais, revenir à leur poste…


Difficile de dire ce que les dits salariés et les autres souhaitent avant de les avoir sérieusement interrogés : entre l’euphorie de la sortie, la peur des transports en commun, les incertitudes sur l’organisation, notamment des écoles, les différentes enquêtes d’opinion sont pour l’instant contradictoires. Il faudra voir aussi, comment se transforme cette pratique servie d’abord par une forme d’émulation collective, presque joyeuse, en tout cas partagée. Travailler, apprendre, enseigner, vivre tous ensemble à la maison fut sans doute éprouvant, mais avait créé un nouveau rythme… ensemble. Passer ses journées seul devant son écran ne revient pas tout à fait au même. Plusieurs entreprises souhaitent faire revenir successivement tous leurs salariés, au moins quelques jours en mai, afin de casser la logique qui pourrait subrepticement s’installer : le télétravail n’est pour l’instant pas la norme et devrait s’il se généraliser faire l’objet de chartes ou de modifications des contrats de travail.


Au-delà des mètres carrés, c’est aussi du temps gagné, 50 minutes de trajet en moyenne pour tous les Français, plus d’une heure dix en Ile-de-France, qui peut séduire les désormais sédentaires. Pas seulement eux : les calculateurs se mettent en marche : embouteillages et pollution en moins, allègement des lignes de transports en commun surpeuplées (aux heures de pointe) pour relier les quartiers d’affaires, décongestion des grandes villes, si l’on s’aperçoit que l’on peut se loger moins cher ailleurs, sans être tenu à d’épuisants allers et retours quotidiens. Les urbanistes voulaient rapprocher logements et emplois dans des villes compactes, voilà la solution…


Hum. Vite dit, non ? N’avez-vous pas un peu mal au dos après deux mois passés en visio-conférence, installés parfois dans un coin de salon, à un bureau d’écolier ou sur votre table de salle à manger ? N’avez-vous pas envie de voir le monde autrement qu’à travers des écrans ? Et, allez, pourquoi pas, vos collègues et même votre patron en chair et en os, après deux mois de bustes un peu flous et de conversations hachées par des connexions hoquetantes, (de bonne ou de mauvaise foi) ? N’avez-vous pas envie de sortir de chez vous le matin pour changer d’air et de paysage ? De vous permettre une déambulation réelle et mentale le temps de passer d’un lieu à l’autre plutôt que de passer de votre lit à votre bureau pour enchaîner les réunions à un train d’enfer ? Ces 36 jours de télétravail ont été totalement précipités et un peu bricolés (la France est passée de 7% de télétravailleurs épisodiques à plus de 25% en permanence selon l’Institut Montaigne).


Le petit guide (Voir) mis en circulation par le Gouvernement samedi 9 mai détaille (enfin) les droits et devoirs des employeurs et salariés en cette période exceptionnelle comme en temps normal: on y lit que l’entreprise peut imposer le télétravail à un salarié, mais lui refuser sa demande (en justifiant cette décision); qu’il doit fournir un ordinateur mais n’est pas tenu de verser une indemnité de télétravail destinée à rembourser les frais engagés par cette nouvelle organisation, sauf si l’entreprise est dotée d’un accord ou d’une charte qui la prévoit. Les droits habituels en matière de restauration sont maintenus (tickets restaurant, primes de repas…), mais aucune prescription n’est édictée par le code du travail, quant à la configuration du lieu où le travail est exercé en télétravail. Débrouillez-vous donc, et si vous n’avez pas la place, faites-en… En réalité, l’Urssaff prévoit la prise en compte de frais mobiliers et immobiliers engagés, mais après un accord (suivre).


La réflexion à porter sur cette nouvelle organisation, si elle est vraiment mise en place, ne peut faire l’économie de la considération des inégalités de logement : une indemnité, quelle qu’elle soit ne permet pas d’acheter une pièce de plus pour son appartement et le départ vers des marchés immobiliers moins onéreux doit être compatible avec deux emplois parfois. Autre solution : transformer les immeubles de bureaux vidés ou bientôt peut-être inutiles en lieux d’habitation, à condition qu’ils soient situés près des transports et des commerces. Après tout, certains d’entre eux ont déjà connu plusieurs vies et ont même été habités. Ou bien doter désormais les immeubles de logements neufs et rénovés d’espaces partagés utilisables par leurs habitants ou leurs voisins, comme des zones de co-working. Dans les deux cas, il y a là une piste pour relancer le marché de l’immobilier, à saisir par les grandes foncières si elles ne veulent pas se retrouver à la tête d’un grand patrimoine de friches tertiaires…

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