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Tourisme : Après les corps, il sera utile de soigner les têtes

Dernière mise à jour : 12 mars 2021

Interview de Jean-Pierre Nadir,

Fondateur du portail web Easyvoyage.com

Vous êtes le fondateur du portail de tourisme Easyvoyage, et à ce titre un observateur attentif de ce secteur depuis 2000. Cette crise aura de grandes répercussions sur le tourisme et devrait impacter cette année plus de 40% du chiffre d’affaires de votre secteur. Comment analysez-vous les conséquences de cette crise sur votre secteur d’activité ? La reprise de l’offre devrait-elle être conditionnée au recours généralisé à des mesures sanitaires particulières ? Y aura-t-il pendant plusieurs années un nouveau paradigme de la santé ? Après la sécurité en 2011, la santé en 2020 ?


Il y a tout un verbiage qui se développe ; tout le monde y va de son pronostic, sur le déconfinement, sur les répercussions économiques, sur les modalités de la renaissance. Tout le monde est épidémiologiste, tout le monde est économiste, tout le monde pense avoir une solution, voire détenir la raison..! Mais je pense que le premier acte va être de savoir quand et comment on sort du confinement, voire, comment on s’en sort ; les impacts sur tous les plans, notamment psychologiques, n’étant pas forcément anticipés à ce jour. Il est donc urgent d’attendre avant d’énoncer des stratégies de reprise.


Ceci dit, si l’on souhaite anticiper comme m’y invite cet entretien et en gardant une forme de prudence, on peut néanmoins s’interroger. Dans une vision à court-terme, quel que soit le schéma, dans le meilleur des cas, le voyage à l’étranger repartira en octobre pour les ventes d’hiver ; la période juillet-août pour l’étranger semblant déjà condamnée (à l’exception peut-être de vacances au soleil en Tunisie ou en Grèce), quant à la France, le moins qu’on puisse dire, c’est que rien n’est gagné.


Après une telle crise sanitaire, il y aura des conditions psychologiques particulières. Les gens n’auront pas envie d’aller prendre des risques, donc ils n’iront pas ailleurs pour voir ce qu’il se passe. C’est le risque du « même gratuit, je ne pars pas », à cause de tout ce que nous aurons traversé pendant cette crise. Le principal impact du confinement est d’avoir installé l’idée que, hors de chez soi, c’est dangereux ; cela mettra forcément du temps à être rectifié.


D’autre part, dans l’hypothèse où l’activité reprendrait en juin, il y aura beaucoup d’acteurs du tourisme en France qui auront du mal à redémarrer pour la saison estivale : le temps de rappeler et de former les saisonniers, de remettre en état de marche les infrastructures et de relancer la commercialisation. Sans parler du fait que l’on ne saura pas forcément quelles seront les mesures sanitaires à prendre (les espaces d’hygiène – douche, lavabo, toilettes – devront-ils être réorganisés sous le concept de la distanciation sociale ? Les piscines collectives seront-elles compatibles avec ce virus ? Les mini-clubs seront-ils autorisés ? Voire, l’accès aux plages ré-ouvert ?), à date on ne sait rien de tout cela ! De même, qu’en est-il du sort des marchés de l’été, qui, rappelons-le jouent un grand rôle dans le tourisme des destinations, à la fois en termes d’animation, de convivialité, d’échange et surtout de levier économique pour tout un écosystème. S’il n’y a pas de marchés dans les villes et les villages, ni de piscines dans les campings : quel va être l’intérêt pour les vacances ? Les gens voudront-ils quand même partir ? On peut se poser la question. Sans compter que les entreprises vont peut-être demander aux salariés de travailler en juillet et en août pour rattraper le temps perdu.


Par ailleurs, de nombreux pays vont, à n’en pas douter, conserver pour un temps leurs frontières fermées, donc il y aura peu de pays en capacité de recevoir les voyageurs ; et même dans le cas de pays aptes à accueillir des touristes, il y aura des tests préalables, de la mise en quarantaine, des conditions sanitaires très strictes, qui risquent donc de dégoûter n’importe quel volontaire au départ !


Enfin, les compagnies aériennes vont remettre très progressivement en place leurs plans de vol avec, sans doute, très peu de capacités durant l’été. En plus, quelle en sera la réalité économique ? Si l’on reprend mollement, les prix seront de facto plus élevés et les conditions sanitaires, plus drastiques (embarquement et emplacement à bord). Par exemple, si les compagnies aériennes sont obligées de laisser le siège du milieu inoccupé du fait de la distanciation sociale, le prix de l’avion sera surenchéri d’un tiers.

Nous sommes confrontés à la plus grande récession depuis 1945. Jean-Baptiste Lemoyne a annoncé de son côté plus de 550 millions d’euros de prêts garantis par l’État pour aider les entreprises du secteur du tourisme. Pensez-vous que cette aide de l’État soit suffisante ?


Pour l’heure, les mesures qui ont été prises par le Gouvernement français sont globalement excellentes dans la volonté d’un redémarrage rapide de l’économie. Chômage partiel ou prêts garantis étant deux mesures très fortes, qui vont coûter très chers, mais qui étaient indispensables. Quant à notre secteur, l’ordonnance du 25 mars, instaurant des avoirs pour les clients, a permis d’éviter l’écroulement des agences de voyage, ce qui est également à mettre au crédit de nos gouvernants.


Concernant la préservation des intérêts des voyageurs, reste à régler la mise en place d’un fond de garantie des compagnies aériennes au profit des voyageurs lésés. Et ce, en mettant un maximum de pression auprès de l’IATA (Association internationale du transport aérien), l’organisation mondiale régissant les flux financiers en matière d’achat de billet d’avion ; ce vieux serpent de mer semblant être enfin considéré auprès des pouvoirs publics. Cependant, au-delà de ces différentes avancées constatées ou en cours, on peut s’interroger sur la pertinence des déclarations du Secrétaire d’état aux transports, indiquant aux Français, qu’« il est urgent de ne pas réserver pour l’été »… Bien sûr, je n’ai pas dit le contraire dans la première partie de cette interview, mais nous ne sommes pas dans le même rôle, le sien n’est pas de commenter, mais d’agir, le sien n’est pas de faire peur, mais de donner des solutions, le sien n’est pas de conceptualiser, mais bien de donner le cap en étant au contact. On peut noter que, lors de son intervention, le Président de la République nous a indiqué que le tourisme bénéficierait de soutiens et d’investissements même, s’il a rappelé que notre activité ne serait pas concernée par le déconfinement, à compter du 11 mai.


En d’autres termes, on attend désormais une ligne, un cadre général, à défaut de date précise. Si l’on en comprend bien toute la difficulté, il n’en reste pas moins qu’il y a tout un pan de l’industrie française à sauver, et donc des professionnels à conforter dans l’idée que, cet été, ils auront un rôle à jouer sur le plan économique, social, mais aussi psychologique, car ils pourraient être les acteurs de l’aération et de la décompression nécessaires des esprits à une bonne reprise en septembre. Au-delà, et concernant les soignants, ne pourrions-nous pas imaginer que les professionnels du tourisme, indépendamment de leur réalité financière, devront être les nouveaux acteurs d’un service de première nécessité ? Après les corps, il sera utile de soigner les têtes. Si l’on relance la machine, on pourrait même conceptualiser et développer un projet de vacances « gratuites » pour les soignants cet été (sous forme de bons vacances), partant de trois principes :

  • Le premier, qui sera logiquement une surcapacité de notre offre touristique, puisque 20 millions d’étrangers qui nous rendaient visite chaque été ne viendront plus, au profit peut-être de 9 millions de Français qui, eux, partaient à l’étranger, et resteront donc en France. Quel que soit le schéma, nous auront donc des places libres.

  • Deuxième élément, l’Etat ayant contribué largement à la préservation des outils et de l’emploi, pourrait y voir là un juste retour de son investissement.

  • Enfin, les soignants ont tous des stocks de RTT et d’heures supplémentaires que l’on ne pourra jamais leur payer (je ne vais pas me faire que des amis…), ne serait-ce pas là une opportunité pour dégrever cette dette, ou plutôt pour l’utiliser intelligemment dans une optique de 1€ de dégrèvement pour 2€ consommés, voire 1€ pour 3€, donc ce ne serait plus des vacances gratuites, mais vacances très très bonifiées, et en tous cas, ne nécessitant pas de sortie de cash.

Si l’on est en guerre, on doit mobiliser toutes les forces, et savoir faire reposer nos soldats de première ligne. Cela pourrait, du reste, être valable également pour la police, les pompiers, voire les caissières et les transporteurs routiers, en faisant en partie subventionner ces congés par leur entreprise. Je lance l’idée : aux syndicats professionnels de prendre le relai dans cette notion de récompense de l’effort.

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