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« La démocratie locale ne peut pas rester durablement entre parenthèses »


Interview d’Olivier Bianchi, Maire de Clermont-Ferrand et Président de Clermont-métropole

Après avoir été les oubliés de la première partie du quinquennat, la crise du COVID-19 semble avoir « réhabilité » les élus locaux. Avez-vous la conviction que cette crise est un tournant dans les relations entre l’Etat central et les territoires ?

Vous avez raison de mettre « réhabilité » entre guillemets. Il est vrai que le Président de la République a bien évoqué le « couple Maire/Préfet » pour gérer au mieux la crise sanitaire. Force est de constater néanmoins que les élus locaux, les maires notamment, ne sont quasiment jamais associés à la préparation des décisions. Nous devons alors gérer des annonces qui s’imposent à nous, voire des mesures brutales, comme par exemple les saisies par l’État de masques commandés par des Régions. Même si je comprends l’urgence et la nécessité de réponses rapides au niveau national, je regrette que la concertation se fasse alors à ce seul niveau déconcentré pour gérer la crise, alors que les charges et les responsabilités qui pèsent sur les collectivités sont importantes. Je ne remets pas en cause les prérogatives régaliennes de l’Etat et j’ai moi-même eu des relations très suivies avec la Préfète du Puy-de-Dôme et le Recteur d’académie, tout au long de ces semaines. Cependant, le modèle que je préfère, et la France en a plutôt bénéficié depuis maintenant 40 ans, c’est le modèle d’un pays décentralisé. C’est la décentralisation qu’il faut approfondir, et cette crise nous permet de la tester en quelque sorte, dans une période hors norme. J’espère que nous pourrons en tirer les conséquences et les enseignements sur les rapports institutionnels pour le meilleur fonctionnement de la République. Afin de faire face à cette crise sanitaire et à la pénurie de matériels, vous avez pris un certain nombre d’initiatives et réorganisé vos services en conséquence. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je voudrais d’abord dire à quel point je suis fier de la réactivité des services municipaux et métropolitains. Je n’en doutais pas, mais l’organisation des services essentiels en temps de crise a été rapide et efficace. Je ne vous surprendrai pas en soulignant l’importance de disposer d’agents publics motivés, suffisants en nombre et en qualité. Nos concitoyens s’en sont bien rendu compte au cours de ces deux derniers mois, qu’il s’agisse évidemment de la fonction publique hospitalière, de la fonction publique d’Etat et bien sûr, pour les services les plus quotidiens, de la fonction publique territoriale. J’espère que nul n’oubliera, la crise passée, l’amortisseur social que cela a représenté. Les agents et les services publics ont été trop décriés ces dernières années, il est temps de les réhabiliter et de conserver toutes leurs capacités d’agir efficacement.

À Clermont-Ferrand, depuis 2014, nous avons fait le choix du maintien d’un haut niveau de service public, malgré la baisse des dotations et le plafonnement obligatoire de nos dépenses (dit « contrat de Cahors »). Nous en voyons aujourd’hui l’avantage : nous avons pu réorganiser dans un délai très rapide les services publics essentiels dans de bonnes conditions pour les agents et les usagers : accueil des enfants des personnels soignants et autres professions prioritaires dans les écoles et les crèches, services sociaux en faveur des personnes âgées, handicapées, pour les jeunes, pour les personnes à domicile auxquelles il faut porter les repas, police municipale, équipe de médiateurs, personnel de l’état-civil, agents des cimetières, collecteurs des déchets, agents du cycle de l’eau, et toutes celles et ceux qui, dans les services support, rendent cette continuité possible. Vous êtes arrivé en tête au premier tour des élections municipales… Vous avez dit qu’il n’y aura pas vraiment de second tour, ce sera un « second premier tour ». Que voulez-vous exprimer par cette formule ? Le gouvernement aurait-il dû reporter également le premier tour des élections municipales ? On parle du mois d’octobre pour le second tour. Qu’en pensez-vous ?

Je ne reviens pas sur la tenue du 1er tour des élections municipales, ce serait aujourd’hui assez vain. A Clermont-Ferrand, ces élections se sont tenues dans les conditions sanitaires exigées et nous n’avons pas enregistré de problèmes liés au virus depuis. J’ai utilisé cette formule, car évidemment, plusieurs mois après le 1er tour, le second se tiendra dans des conditions politiques totalement nouvelles, très loin des dynamiques de la campagne de mars. Une chose est certaine néanmoins, et cela rejoint ce que je disais plus haut : la démocratie locale, si importante dans la gestion de crise au quotidien pour des millions de Français, ne peut pas rester durablement entre parenthèses. Nous avons besoin de maires et de présidents d’EPCI pleinement investis par le suffrage populaire pour tenir fermement la barre dans une crise qui va durer. Alors juin, septembre, octobre 2020 ou même plus tard ? Je note d’ores et déjà que, s’il est possible de déconfiner les commerces, les écoles, les sorties sans attestation dans un rayon de 100 km, les chantiers, les entreprises, je ne vois vraiment pas ce qui pourrait empêcher – sauf aggravation de la situation sanitaire bien sûr – la tenue du 2ème tour en juin. Il s’agira alors de se rendre dans un bureau de vote pendant 5 à 10 mn et nous prendrons bien évidemment toutes les mesures sanitaires barrière nécessaires. Le maintien du 1er tour exige que le second se tienne dans des délais raisonnables et en tout cas, pas après fin septembre/début octobre (la situation de l’épidémie le permettant, ça reste évidemment toujours la condition sine qua non). Si le second tour devait se tenir plus tard, alors je pense qu’il faudra annuler l’ensemble du processus électoral. On ne saurait maintenir le 1er tour pour 2/3 de l’électorat et le refaire pour 1/3, ce serait une rupture d’égalité du corps électoral sans précédent. Depuis un an, l’usine Luxfer à Gerzat, située dans la périphérie nord de Clermont-Ferrand, est à l’abandon. Fautes d’acheteurs, le site avait été contraint de cesser sa production de bouteilles d’oxygènes, notamment à usage médical. A un moment où l’on prend conscience de la nécessité de « réarmer » économiquement la France, de réindustrialiser, de produire français… Où en êtes–vous dans vos discussions avec le gouvernement sur ce sujet ? Le site pourra-t-il être relancé ?

D’abord, c’est une crise qui dure depuis plus d’un an et nous n’avons cessé de dire que nous ne comprenions pas que, dans ce pays, on ne soit pas plus attentif à maintenir les savoir-faire industriels qui enrichissent les bassins d’emploi dans nos territoires. Avant cela, nous nous sommes battus avec les salariés et les repreneurs des ACC, une des dernières entreprises de maintenance ferroviaire – celle qui rénove l’Orient-Express par exemple – pour conserver l’outil industriel à Clermont-Ferrand. S’agissant de production de matériel médical, la crise sanitaire rend encore plus absurdes et insupportables les logiques d’un capitalisme financier n’écoutant que son intérêt propre et sapant les possibilités mêmes d’une reprise ! Et plus encore quand c’est un outil qui pourrait aussi produire demain d’autres produits utiles pour la transition énergétique en allant vers le développement de l’hydrogène par exemple. Même si rien n’est encore acquis, je suis satisfait que la pression exercée par les organisations syndicales et les élus locaux et nationaux trouve un nouvel écho du fait de la crise sanitaire – et personnellement, je déplore qu’il faille un tel événement pour conduire à un réexamen de la situation par l’Etat. Mais l’essentiel, c’est que de nouvelles pistes de solution soient à l’étude. J’ai fait part au Ministre de l’Economie de notre totale disponibilité pour contribuer à la recherche de solutions dans le cadre de nos compétences, et la métropole clermontoise sera au rendez-vous pour que l’issue finale soit la plus favorable possible à la sauvegarde de l’entreprise et de l’emploi. Je sais que vous êtes passionné de culture… Dans cette période de confinement, les outils numériques permettent à de nombreuses personnes d’accéder gratuitement à la culture. Ce modèle va-t-il se développer dans les années à venir ?

Les outils numériques représentent depuis longtemps déjà un enjeu qui présente de grandes opportunités mais aussi des risques sur la manière dont nous envisageons la culture, cette fameuse exception culturelle. Le confinement pousse à une utilisation très accrue de ces outils et de nombreuses ressources sont effectivement aujourd’hui mises à disposition du public gratuitement. À Clermont Auvergne Métropole, nous avons ouvert la médiathèque numérique à tous en accès libre pendant six mois. Ce sont des ressources très diverses, utilisables pour le divertissement, mais aussi pour l’éducation et la culture. Ces journées de confinement en permettent une vaste exploration et je pense en effet que de nouveaux usages, sinon des habitudes, perdureront. Je crois que c’est une bonne chose même s’il faut bien sûr accompagner l’apprentissage pour utiliser au mieux la masse de ces ressources.

Mais ce sont d’abord des moyens, et le monde d’après continuera de poser les questions connexes qui étaient déjà sur la table avant : par exemple la place des grandes plateformes dans l’économie du numérique, leur force de frappe et les questions de protection des auteurs. Je pense aussi aux questions liées à une fiscalité qui assure un juste retour aux Etats, car cela conditionne l’émergence continue des nouveaux talents et des nouveaux projets. Toutes ces questions restent d’actualité et sont loin d’être réglées. Il en va de la diversité artistique et culturelle et de la sauvegarde d’une exception culturelle qui, pour moi, est un signe majeur de civilisation.

Permettez-moi enfin d’ajouter que, si je mesure tout le bénéfice qu’on peut tirer des ressources numériques, l’art et la culture sont d’abord affaire d’échanges et d’émotions partagées. J’ai hâte pour ma part de retrouver les joies des manifestations collectives dans le monde réel. De nombreux élus, président d’ONG, chercheurs, plaident pour que l’on change notre modèle de développement. Isabelle Autissier, présidente de WWF, déclarait il y a quelques jours à ConfiNews que « notre modèle actuel n’est ni durable ni soutenable. Les exigences sociales et environnementales doivent s’imposer comme des évidences ». Partagez-vous ce sentiment ?

Je le partage d’autant plus que ces exigences ne sont pas nouvelles. Comme d’habitude, les crises sont des accélérateurs et des révélateurs qui mettent au jour encore plus crûment les inégalités sociales et l’impact des activités humaines sur les milieux. Cette crise accélérera sans doute les prises de conscience et les introspections sur l’état de notre société et sur notre rapport à la planète.

Les questions écologiques, sociales et démocratiques s’invitent avec de plus en plus de pression dans nos vies et nos débats : on le voit à l’occasion de crises liées aux dérèglements climatiques comme les canicules et les sécheresses, ou de crise sociale comme celle des gilets jaunes. Ces questions étaient aussi au cœur de nos programmes municipaux et j’espère qu’elles forgeront demain l’ossature de l’alternative politique à gauche que j’appelle de mes vœux. Nous ne découvrons pas les choses aujourd’hui à l’occasion de la crise sanitaire, mais sa soudaineté et son ampleur, la sidération individuelle et collective qui en résulte, renforcent l’acuité des urgences climatiques, sociales et démocratiques. Je note qu’elles nourrissent aussi les débats quotidiens sur la gestion de la crise, cela signifie que nous rentrons de plus en plus vite dans le monde d’après. Une autre de ses caractéristiques essentielles sera le besoin impérieux d’avoir des institutions politiques « agiles » pour employer un mot à la mode : rapidité des analyses qui doivent intégrer de plus en plus de complexité, implication réelle des citoyens et de la société civile, pouvoirs nationaux et locaux bien articulés et agissant en confiance. Bref, un monde d’après qui requerra transparence, dialogue et sûrement plus d’horizontalité pour mieux appliquer ensuite les décisions. Les populismes semblent avoir pris une longueur d’avance dans le monde, mais aussi hélas dans notre pays, car ils peuvent s’exonérer d’agir en responsabilité et on ne peut pas dire qu’ils s’embarrassent de complexité. Adapter nos régimes démocratiques au tempo de l’après n’est pas le plus mince des défis, mais c’est tout le sens de mon engagement politique.

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