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Dans le contexte de crise sanitaire, l’alimentation est un bien commun à la nation


Stéphane Layani Président-Directeur Général du Marché International de Rungis.

1) Lorsque l’on est le Président du plus grand marché de gros européen, que l’on nourrit un Français sur quatre, comment vit-on personnellement cette situation ? Dès la mi-février, vous avez pris les devants et initié un certain nombre de mesures… Pouvez-vous nous en parler ?


Lorsque l’on est à la tête du plus grand marché de produits frais au monde, que l’on nourrit chaque jour 18 millions de Français et qu’on a la responsabilité de pouvoir approvisionner les Français en produits frais dans un moment où ils ont plus que jamais besoin de nous, le plus grand sens de l’engagement doit évidemment être de mise. Dans pareil contexte sans précédent, il a fallu être réactif, clairvoyant, déterminé et créatif.

Cette lutte contre l’épidémie a transformé nos vies, nos modes de fonctionnement, individuels et collectifs. Dans cette lutte, comme le Président de la République l’a indiqué, nous sommes en deuxième ligne de bataille. En première ligne, il y a tout le personnel hospitalier, ceux qui au quotidien prennent soin de ceux parmi nous qui sont tombés malades.


Nous, acteurs du secteur alimentaire, nous sommes en deuxième ligne : nous devons nous assurer que tout le monde ait accès à une alimentation de qualité, des produits frais, qui contribuent au maintien de la santé de nos compatriotes.

C’est pour cela que, depuis le début de la crise, ma priorité comme Président du Marché de Rungis a été d’assurer la continuité de l’activité du Marché.


Dès la mi-février – donc avant que l’épidémie arrive en France !- la SEMMARIS (société gestionnaire du Marché de Rungis) a appliqué les recommandations des autorités sanitaires destinées à endiguer la propagation du virus, notamment le principe de précaution pour les opérateurs et usagers du Marché en provenance des zones à risque identifiées (mise en quarantaine). J’ai mis par ailleurs en place une cellule de crise des le 17 février 2020, ainsi qu’une série des mesures préventives étant donné que beaucoup de nos grossistes travaillent avec l’Asie. Les visites de personnes extérieures au Marché ont été également suspendues jusqu’à nouvel ordre à titre préventif. Seules les personnes habilitées (opérateurs et clients) ont accès au Marché, après contrôle de leur carte d’acheteur. Un dispositif de communication a été mis en place à destination de l’ensemble des opérateurs et usagers du Marché pour leur rappeler les bonnes pratiques à adopter à titre préventif et en cas de suspicion d’infection. J’ai également nommé un référent santé permettant d’accompagner et de conseiller le Comité scientifique opérationnel du Coronavirus mis en place par la Semmaris pour suivre l’évolution quotidienne de la situation.


2) Vous avez pris une très belle initiative avec « Rungis livre chez vous », afin de palier la fermeture de nombreux marchés en région parisienne, apporter des produits frais aux Parisiens et aider les agriculteurs d’Île-de-France. Quel premier enseignement tirer depuis le lancement de cette opération ?


L’idée de créer la plateforme Rungislivrechezvous.fr est née du bouleversement économique sans précédent qu’a engendré la mise à l’arrêt de deux de nos canaux de distribution principaux : la restauration et les marchés de plein vent. Dans ce contexte, il a fallu impérativement trouver des canaux de distribution alternatifs pour que certains grossistes à service complet ne chutent pas totalement et éviter que certains secteurs lourdement touchés ne disparaissent à jamais.


Les opérateurs de Rungis qui disposaient déjà de sites B to C, ont été submergés par les commandes, d’autres qui n’avaient pas de sites ont utilisé avec efficacité et succès les réseaux sociaux pour commercialiser des paniers, d’autres encore ont cherché des sites e-commerce B to C pour distribuer leurs produits. Le Marché les a soutenus, communiquant fortement sur chacune de ces initiatives, en toute transparence. Et nous avons voulu compléter ces initiatives individuelles par un service « Rungis livré chez vous » pour ouvrir un canal supplémentaire de distribution aux producteurs d’Ile-de-France et à nos grossistes, en lien étroit avec la Région et la Chambre régionale d’Agriculture. Ce service est opéré par une entreprise née sur le Marché, Califrais et est indispensable en temps de crise dans un contexte où certains de nos compatriotes, les plus fragiles, ne peuvent pas du tout sortir. Cette solidarité, très appréciée, et soutenue par l’Etat, fait honneur à notre marché.


La plateforme livrera cette semaine 6500 paniers dans les 6 des 7 départements franciliens : 75, 91, 92, 93, 94 et 78 : aujourd’hui plus que jamais nous sommes fiers de l’incroyable capacité d’adaptation, de résilience et de proactivité dont l’ensemble des acteurs de Rungis a su faire preuve pour permettre d’approvisionner les franciliens en produits frais de qualité ! Ce service permet aujourd’hui de sauver des emplois, de soutenir des agriculteurs et entreprises françaises tout en respectant la consigne de « rester chez soi ».


3) La région Île-de-France et la Chambre d’agriculture vous accompagnent-elles dans cette période difficile ?


Dans cette période de crise, ce qui est ressorti est l’extrême solidité et solidarité de tous les acteurs de la chaîne alimentaire et des collectivités territoriales. Depuis le début de la crise, nous travaillons main dans la main tous ensemble pour essayer d’aider nos agriculteurs à placer leur production, particulièrement importance en cette saison printanière. Comme je vous le disait tout à l’heure, la Région et la Chambre d’agriculture nous ont beaucoup accompagné dans la mise en place de Rungis livré chez vous. C’est notre union qui a fait notre force en ce moment difficile pour tous.

4) Une fois les aides de l’État mises en œuvre, allez-vous prendre des mesures spécifiques pour accompagner les opérateurs présents à Rungis ? Avez-vous des discussions avec Unigros (Union syndicale de grossiste du Min de Rungis) sur ce sujet ?


Des le début de la crise, j’ai fait l’interface avec tous les représentants de l’État, ainsi que les ministères de tutelle pour informer les entreprises en temps réel de l’ensemble des mesures d’accompagnement mises en place par le Gouvernement et défendre leurs intérêts, depuis le début du mois mars.


Dans un souci de ne pas laisser aucune entreprise sur la touche, j’ai décidé de mettre en place des mesures de soutien exceptionnel aux opérateurs, qui vont au-delà des mesures nationales.


Nous allons accorder automatiquement la suspension des redevances et charges pour les entreprises les plus petites, et sur demande pour d’autres sociétés ayant subi un « choc commercial particulièrement lourd ».

5) Quelle est la filière la plus touchée, au sein du marché ?


Je ne peux pas aujourd’hui dresser un bilan à l’échelle entière du Marché de Rungis, tant il convient de contraster les données par filière. Chacune ayant des fonctionnements et débouchés propres.


C’est clair que les secteurs le plus affectés sont l’horticulture, qui est complètement à l’arrêt, puis la marée.


Prenons l’exemple de la marée : les Français consomment le poisson principalement en restaurant et dans les cantines, qu’il s’agisse des cantines scolaires ou des cantines d’entreprise. Aujourd’hui, avec le confinement et le télétravail, il n’y a plus ni cantines, ni restaurants. Et les Français confinés ne consommaient au début de la crise pas ou très peu de poisson à domicile. Le secteur a donc connu une forte chute d’activité.

Il convient néanmoins de noter que depuis les festivités pascales et l’arrivée des beaux jours, le secteur repart à environ 50% de son activité en période « traditionnelle ». Les nouveaux canaux de distribution, comme la plateforme Rungis livré chez vous, ainsi que la réouverture de certains marchés ont été bénéfiques à l’activité de ce secteur.

6) Quel message positif souhaitez-vous délivrer aux producteurs, aux acheteurs et aux consommateurs ?


Cette crise nous a montré l’importance d’avoir une autonomie alimentaire, des circuits courts et un Marché de gros fort et dynamique. Nous avons montré, depuis le début de cette pandémie notre capacité à nous réorganiser en permanence pour permettre à nos compatriotes s de s’alimenter.


Tous les Français ont vu l’importance d’avoir une agriculture forte, des filières locales fortes qui puissent assurer l’approvisionnement des Français en produits de qualité. Si le local était une tendance, la crise a démontré aux Français encore plus l’importance de la proximité. Dans le contexte de crise sanitaire, l’alimentation est un bien commun à la nation.


C’est pourquoi après la crise, notre activité connaîtra sûrement des évolutions importantes dans ses modèles économiques, dans les solutions logistiques, dans le rapport des consommateurs aux produits.


Nous devons anticiper ces évolutions pour que le Marché puisse saisir les opportunités et répondre aux nouveaux défis. Le 11 mai sera le début d’une nouvelle étape et nous devons être prêts pour bâtir dès aujourd’hui des solidarités et des coopérations nouvelles, pour être à la hauteur du défi.


Car il va falloir rebâtir notre économie et garder notre indépendance alimentaire. Celle-ci a besoin qu’on soit tous unis. En dépit des difficultés et des impacts socio-économiques engendrés par la crise, nous chercherons chaque jour à garantir ce bien commun essentiel à tous « l’Alimentation ».

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