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  • Photo du rédacteurBenjamin Gievis

Ce virus n’est pas un ennemi comme les autres


Interview de Charles-Henri du Ché, Vice-amiral d’escadre (2S)

Remarque préalable : ces propos sont ceux d’un amiral qui a quitté le service actif en septembre 2019. Ils n’engagent donc que leur auteur et aucunement l’institution à laquelle il appartenait.

Vous avez fait une extraordinaire carrière, en tant qu’officier de Marine. Dans le cadre de cette nouvelle pandémie, le virus est-il un « ennemi » comme les autres ?

Ce n’est pas un ennemi comme les autres, car c’est une menace qui fait fi des frontières et des Etats et qui frappe indistinctement les faibles ou les forts. Ce n’est certes pas la première fois que le monde vit une telle pandémie, mais celle-ci est une nouvelle mise en évidence des travers de la mondialisation (croissance basée sur des flux humains et commerciaux croissants, délocalisation industrielle, dépendance à la Chine…). Elle sonne le glas de la « globalisation heureuse » et va accentuer les tendances en cours de retour aux frontières, au protectionnisme et au nationalisme.

Au-delà de la crise sanitaire, le Covid-19 pose à l’ensemble des autorités publiques une problématique d’organisation et de logistique. Pouvez-vous nous faire part de votre retour d’expérience dans ce domaine ?

Logiquement, on se prépare mieux à ce que l’on connaît ou à ce qui arrive régulièrement (c’est l’objectif des plans ORSEC par exemple) qu’à ce qu’on imagine qui pourrait arriver. En revanche, et c’est en effet culturellement une force des armées, on peut planifier les moyens logistiques pour une crise de grande ampleur et s’entraîner régulièrement sur des scénarios « enveloppes ». C’est ce que j’ai vécu dans ma carrière de sous-marinier, avec des exercices réguliers sur des accidents nucléaires (dont l’occurrence est extrêmement faible), mais qui permettent de répondre avec la même organisation robuste à des crises d’un autre type (par exemple chimique).

Nous avons vu que le Gouvernement a fait appel à l’armée, afin de monter des tentes de soin devant l’hôpital de Mulhouse, lors du pic de la pandémie dans le département du Haut-Rhin. Pensez-vous que le Ministère des armées pourrait être plus sollicité en ce temps de « guerre » ? Et de quelle manière ?

Le Ministère des armées, et les armées elles-mêmes, sont au service de la Nation. C’est dans leur ADN et nul doute qu’ils répondront présents à toutes les sollicitations. C’est en effet déjà le cas avec le Service de Santé des Armées dont j’ai pu mesurer la compétence tout au long de ma carrière et qui est un outil qu’il faut absolument préserver, voire renforcer à la lumière de cette crise. L’autre contribution importante réside dans les moyens de transports tactiques ou stratégiques des trois armées qui sont souples et très réactifs et qui seraient sans doute encore plus sollicités en cas d’aggravation de la situation dans certaines régions.

On a beaucoup évoqué l’absence de l’Union européenne dans la gestion de cette crise et parfois souligné de nombreux désaccords entre les pays membres. A l’avenir, l’Union européenne doit-elle renforcer son rôle en matière sanitaire et aller au-delà d’un simple accompagnement des politiques sanitaires nationales ?

Chaque pays a sa politique sanitaire et sa culture propres. Alors même qu’ils appartiennent à des Etats fédéraux, les Länders allemands et les Etats américains ont réagi différemment. L’UE, qui est au fond principalement une vaste zone de libre-échange, doit d’abord se rendre compte de sa dépendance à d’autres (la Chine notamment) et garantir qu’elle aura les moyens d’aider les pays les plus touchés. Cette crise a été pour beaucoup de pays européens et l’UE en général une prise de conscience du besoin de souveraineté dans le domaine sanitaire et c’est plutôt une bonne chose.

Vous connaissez très bien le bassin méditerranéen. Vous étiez encore il y a quelques mois en poste à Toulon en tant que préfet maritime pour la Méditerranée et commandant en chef des opérations en Méditerranée (CECMED). Cette crise aura-t-elle des conséquences géopolitiques importantes dans cette région du monde ?

Très probablement car la Méditerranée, qui est un carrefour commercial et culturel, est le creuset ou le laboratoire de beaucoup de crises. Elle est aussi depuis plusieurs siècles une zone où les puissances mondiales et régionales se concurrencent et se testent, principalement sur mer. Les crises en cours (Syrie, et Libye notamment) vont subir les conséquences de l’évolution du jeu des puissances liée à cette crise. Ainsi la France et l’Europe devront désormais composer avec le leadership ouvertement assumé de la Chine dans le concert des nations, la distanciation avérée des Etats-Unis accentuée par la politique isolationniste de Trump, la position d’influence ambigüe de la Russie qui continue à nous ignorer, le manque de solidarité et le clivage grandissant entre pays européens sur les questions méditerranéennes, la volonté de certaines puissances régionales de profiter du désordre mondial (Turquie, Iran) et enfin, et peut-être surtout, la bombe à retardement que représente une pandémie en Afrique avec des flux migratoires incontrôlés.

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