Interview de Catherine Sabbah, déléguée générale d’IDHEAL, l’Institut des Hautes Etudespour l’Action dans le Logement, co-auteur de QTM
« Question à toits multiples » entend faire le point sur la politique du logement, pourquoi avoir écrit ce livre ?
Avec l’équipe de Citylinked, qui conseille des collectivités territoriales et voit les choses de près, nous pensons que le moment est propice pour parler de logement. Le premier confinement a duré 55 jours, nous en sommes à plus d’un mois pour le deuxième un peu moins strict, y en aura-t-il un troisième ? Cela fait autant de jours pendant lesquels chacun a eu tout loisir de tester le confort et la possibilité d’adaptation de son logement. Et de vérifier qu’il n’est pas toujours idéal pour y passer autant de temps et pour y travailler, notamment. Ce livre est l’occasion de se plonger dans la manière dont sont et ont été fabriqués les logements depuis des décennies. Nous avons essayé, sans jargon ni langue de bois, de faire le « tour du propriétaire » qui regroupe les acteurs, publics et privés, les contraintes réglementaires et juridiques et surtout l’environnement économique… Nous expliquons comment fonctionne ce grand secteur économique, et surtout pourquoi depuis des années on parle de crise sans réussir à en sortir.
Comment se caractérise cette crise justement ? Est-elle spécifiquement française ?
Elle est paradoxale. D’abord, la France construit plus que ses voisins, en moyenne 390.000 logements par an depuis les années 2000, pour un total de 546 logements pour 1000 habitants contre 540 en Espagne où les efforts de construction ont pourtant été très soutenus. En Allemagne, le chiffre est de 510 et de 436 au Royaume Uni. On ne manque pas de logement en France. Second indice, les Français, lorsqu’ils sont interrogés par l’Insee, se déclarent à plus de 70% contents de leur logement… Alors où est cette crise ? Il ne faut pas s’en tenir aux moyennes qui font oublier des situations très délicates pour des ménages qui sont de plus en plus nombreux à consacrer plus de 30% de leur revenu au paiement de leur loyer ou aux remboursements de leurs crédits. Il faut envisager des publics particuliers, les jeunes, étudiants ou pas, les personnes âgées, les familles monoparentales… plus tous ceux qui sont « mal logés ». La Fondation Abbé Pierre recense plus de dix millions de personnes dans ce cas : des familles trop nombreuses pour l’espace qu’elles peuvent s’offrir, des personnes hébergées chez d’autres, ou encore ceux qui habitent des passoires thermiques et voient plus de 10% de leurs revenus filer en chauffage… et bien sûr les personnes sans toit, à la rue.
Ce constat n’est pas si nouveau, qu’est-ce que votre livre apporte de plus ?
Des questions un peu iconoclastes auxquelles nous apportons des réponses qui le sont autant. Nous pensons que la crise ou les crises tiennent à l’organisation même du système de production du logement. Pour résumer, les politiques publiques qui ont depuis longtemps encouragé l’accession à la propriété, les « chocs d’offre », les systèmes de défiscalisation… portent une responsabilité assez facile à démontrer dans plusieurs travers : les prix trop élevés, les logements de qualité médiocre, l’étalement urbain… Tout n’est pas la faute de l’État, la responsabilité n’incombe pas non plus seulement aux promoteurs ou aux bailleurs, mais le système est organisé de telle façon que les prix ont bien peu de chance de baisser. Car leur augmentation profite à tous les acteurs de la chaîne, y compris des propriétaires ou investisseurs particuliers. Les seuls que cela handicape sont les « primo-accédants », pas le plus influent des lobbys… Autre raison, la politique qui consiste à produire toujours plus grâce à des soutiens fiscaux ou des aides publiques, mène mécaniquement à la construction de logements plus petits, pas forcément localisés là où il y en aurait le plus besoin.
Vous dressez donc un constat bien pessimiste. Apportez-vous des réponses à votre « Question à toits multiples » ?
Nous en avons trouvé beaucoup. Car de nombreux professionnels se posent aussi des questions sur la taille des logements, les accès à l’extérieur, les espaces partagés, d’autres dispositions des appartements qui n’ont guère suivi l’évolution des modes de vie. Le confinement a sans aucun doute accéléré ces réflexions. Certaines collectivités se préoccupent de près de ce qui se construit sur leur territoire, certains promoteurs et bailleurs réfléchissent un peu plus que d’autres, des architectes ont beaucoup d’idées à proposer… Nous détaillons ainsi de très nombreux exemples de programmes qui fonctionnent et qui ont été pensés pour être bien insérés dans leur environnement et dans leur époque. Des montages intelligents aussi pour rendre le logement plus accessible, via des systèmes de démembrement par exemple. Ce qui prouve que les choses sont possibles. Nous élaborons aussi quelques pistes comme une plus grande territorialisation de la politique du logement, une limitation de la spéculation surle prix des terrains, y compris privé, le partage de la rente foncière… Nous pensons qu’il ne faut pas compter que sur le marché pour se loger, sans abîmer et pour habiter mieux.
Citylinked et Catherine Sabbah, Question à toits multiples, novembre 2020, 207 pages, 29 euros.
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