Interview Isabelle Autissier WWF
Navigatrice, aujourd’hui présidente de l’organisation non gouvernementale WWF-France, mais agronome de formation, pensez-vous que l’humain est allé trop loin dans la modification de son milieu naturel ?
Bien sûr que les humains ont modifié à grande échelle les milieux naturels. Ce sont aujourd’hui 75% des terres et 60% des mers qui sont fortement impactées. Scientifiques, associations, opinion publiques, nous sommes des millions dans le monde à tirer la sonnette d’alarme. Dans l’histoire, l’homme a développé les premières grandes pandémies par la conquête, le commerce… L’homme a modifié de nombreux équilibres naturels aux multiples conséquences sociales, écologiques et sanitaires. Le rapport de l’homme à la nature est désormais posé comme condition de notre survie.
Restez-vous néanmoins positive sur ce que l’on appelle « le monde d’après » ?
Je ne suis pas madame Irma. Ce que je sais, c ‘est que si l’on recommence sur les mêmes bases, c’est-à-dire le dérèglement climatique, la déforestation, la surproduction et la surconsommation, le monde subira de nouvelles crises, de plus en plus violentes et destructrices. Au WWF, nous allons œuvrer pour que la relance de nos sociétés, qui va nécessiter des milliards d’euros, – et nous allons participer à cet effort planétaire -, ne soit pas basé uniquement sur le profit. Nous empruntons aujourd’hui aux générations futures pour construire un nouveau monde ; si nous reproduisons les mêmes bases, les générations futures auraient raison de nous en vouloir ! Empruntons pour eux et laissons-leur une planète et des hommes en bonne santé.
Peut-on encore concilier notre modèle économique de développement, de production et la préservation de notre environnement ? Nicolas Hulot utilisait le terme de « croissance sélective ». Qu’en pensez-vous ?
On ne peut plus penser un modèle économique avec cette idée de croissance perpétuelle et ne prendre des décisions que par rapport à un PIB, une exigence de chiffre d’affaires ou des critères purement financiers et de rentabilité. Nous devons changer notre manière de faire si l’on veut survivre ; notre modèle actuel n’est ni durable ni soutenable. Les exigences sociales et environnementales doivent s’imposer comme des évidences. Prenez l’exemple de l’agriculture. On a imposé depuis des décennies à nos paysans une agriculture productiviste, consommatrice de ressources et polluante. Mais les choses changent. Nos habitudes alimentaires changent et la manière de produire aussi, locale, bio… Qu’importe la sémantique ; ce qui compte, c’est l’évolution de notre modèle économique et la mise en œuvre d’une vraie transition énergétique et alimentaire. La restriction de nos libertés individuelles peut-elle se justifier au regard de l’urgence sanitaire ?
J’ai envie de vous répondre oui et non à la fois. Le confinement est une restriction individuelle, mais il se justifie, parce qu’il permet d’endiguer progressivement la pandémie du Covid-19 dans de nombreux pays. En même temps, certains pays en profitent ; le 31 mars dernier, au lendemain d’un vote en Hongrie, qui a donné des pouvoirs quasi illimités au Premier ministre, la Présidente de Commission européenne a alerté sur cette mesure. Les désordres environnementaux provoquent les désordres économiques. Or, bien souvent dans l’histoire, les désordres économiques ont conduit à fragiliser les démocraties. La crise économique de 1929 a eu des conséquences dramatiques… Vous savez, la démocratie ne survit pas aux crises trop longues et répétées.
Les océans, un espace de liberté et d’espoir ?
Notre écosystème océanique représente 70% de la surface de la planète. Vous savez les océans sont depuis plusieurs années gravement impactés eux aussi par l’action des hommes (12 millions de tonnes de plastiques qui se déversent, les pollutions agricoles, la surpêche, l’étiolement récifs coralliens, destruction des mangroves…). Ils ne sont pas aujourd’hui en très bonne santé ; n’oublions pas tout de même qu’aujourd’hui la moitié de notre oxygène vient du plancton marin. Nous sommes malheureusement sur terre, comme sur mer, confrontés aux mêmes problèmes : la pollution et la surconsommation de nos ressources naturelles. L’humanité ne doit plus agir comme si les mers et les océans étaient des ressources inépuisables. L’action de WWF depuis plusieurs années est la préservation des écosystèmes marins.
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