Monsieur Alain Houpert, Sénateur de Côte d’Or et médecin
Vous êtes sénateur de Côte d’Or, mais également médecin. Quel regard portez–vous sur la gestion de crise sanitaire par le gouvernement ?
Il faut reconnaître une chose : personne ne s’attendait à une telle épidémie. Y a-t-il eu des manques au début de la crise sanitaire dans l’attention portée au virus ? Il faudra le démontrer plus tard et acter les responsabilités. Ce qu’en revanche, je dénonce depuis le début de cette crise sanitaire, c’est le message contradictoire du gouvernement. Depuis le mois de mars, il a appelé à une mobilisation générale des Français pour faire face à cette épidémie, tout en restreignant peu à peu les marges de manœuvre. Cela a été d’autant plus vrai pour mes confrères et moi qui sommes médecins. Plutôt que de s’appuyer sur notre expérience, sur nos compétences à tous, le gouvernement a voulu créer un conseil scientifique axé autour de quelques-uns, totalement hermétique à toute opinion médicale et scientifique venant de l’extérieur. C’est ce que nous avons dénoncé quand nous nous sommes mobilisés pour la liberté de prescrire. Le risque en médecine est une composante de notre exercice. La quête perpétuelle du soin est le fondement même de notre métier. Il y a donc un message contradictoire. Emmanuel Macron nous a parlé de guerre, puis n’a cessé de restreindre les libertés d’action. Imaginez De Gaulle en 40, appelant à résister, mais sans armes !
Je crois que toute cette cacophonie a une explication : la peur. Il est normal d’avoir peur mais cette peur, en tant que médecin, nous la connaissons chaque jour parce que nous avons, tous les jours, la responsabilité de vies humaines. Et si la médecine a tant évolué, c’est parce qu’au-delà de cette peur, nous avons cette volonté acharnée de combattre la maladie qui est inscrite dans notre ADN. Le gouvernement est politique et combat une situation. Les médecins sont scientifiques et combattent une maladie. Restreindre les seconds reste pour moi la grande erreur de stratégie.
L’autre grand échec sera l’hécatombe chez les personnes âgées. Les seniors sont décédés du covid ou sont littéralement morts de solitude, par ce phénomène que nous appelons « le syndrome du glissement » : dépourvue de raison de vivre, la personne se laisse dépérir. La fin de vie : voilà un des prochains grands chantiers de notre pays. L’abandon des personnes âgées malgré les efforts d’un personnel soignant exemplaire au vu des pauvres moyens qui leurs sont alloués m’est personnellement intolérable.
Depuis le début de la crise sanitaire, on relève un manque de coordination entre les services déconcentrés de l’état, notamment les ARS et les élus locaux. Vous avez-vous-même évoqué « l’ingérence de la technocratie dans le spectre de la démocratie ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai utilisé cette formule quand le directeur de l’ARS Bourgogne Franche Comté s’est autorisé à qualifier de clientélistes et irresponsables les maires ayant pris des arrêtés pour la réouverture des commerces. J’ai considéré que cette prise de position politique d’un haut-fonctionnaire était inadmissible. Quand Nicolas Sarkozy a voulu la création des ARS, l’objectif était de rationaliser l’organisation médicale des territoires avec les élus locaux qui connaissent leurs territoires. Mais force est de constater que dès le départ, les ARS ont méprisé les appels des élus locaux. On a même vu en Bourgogne des manifestations d’écharpes tricolores devant le bureau du directeur de l’ARS qui a refusé de les recevoir. Depuis plus de dix ans, les ARS ont imposé une reconstruction du schéma médical, décidant ici ou là de fermer des lits, des hôpitaux, en ignorant constamment les inquiétudes de ceux qui connaissent leurs territoires, les spécificités géographiques, les infrastructures, les contraintes propres à chaque territoire. Pour moi, par cette prise de position politique qui va bien au-delà de ses missions, le directeur de l’ARS de Bourgogne Franche–Comté a créé une rupture avec les élus des territoires. Puis, il y a quelque chose d’insupportable dans le fait que ce soit la même institution qui a réorganisé le schéma médical sur une région – je le répète sans aucune concertation – et vient en plein cœur de la crise justifier de situations en arguant du manque de lits en réanimation et recadrer des élus – qui ont la légitimité des citoyens – qui ne font que dénoncer une situation qui découle de ce manque de concertation. On ne peut pas se satisfaire d’une politique du pompier pyromane. D’une part, parce qu’elle est dangereuse pour la France, mais d’autre part parce qu’elle ne fait que conforter la défiance des Français envers leurs institutions. Concernant les ARS, il faudra qu’à l’issue de cette crise, nous tirions les leçons de ce qui vient de se passer, réévaluer leurs actions, leur fonctionnement et décider des réformes organisationnelles à mener.
Avec la loi sur le non–cumul des mandats, on a parfois le sentiment que les sénateurs, sont devenus « les porte–paroles des maires », comme si vous étiez aujourd’hui la seule courroie de transmission entre les territoires et l’Étatcentral. Qu’en pensez-vous ?
Je sors d’une campagne sénatoriale que j’ai effectuée cet été et cette métaphore de la courroie de transmission est parfaitement vraie : j’ai rencontré des maires fraîchement réélus, éprouvés par l’épidémie de covid dans laquelle ils ont été en première ligne pour répondre aux angoisses de leurs administrés et parer aux tâches urgentes avec des personnels qui découvraient le télétravail… et des « nouveaux » maires, élus depuis quelques semaines à peine puisque le second tour des élections municipales a eu lieu en juin. Que disent-ils ? Que les communes subissent depuis le mandat de François Hollande une montée de jacobinisme et l’ingérence d’un exécutif très technocratique : la loi Notré, les baisses de la DGF, puis la suppression de la taxe d’habitation décidée par le gouvernement Philippe ont privé les maires de ressources, de compétences et de pouvoir. Les Conseils généraux ont eux aussi subi ces coupes claires et finalement il ne reste que les Sénateurs pour porter la voix des maires, sans distinction, du plus petit village à la commune péri-urbaine. L’élection sénatoriale permet notamment à la France rurale, celle qui n’est pas la « start-nation », celle qui vit la fracture numérique, l’exode de ses habitants vers les métropoles, d’être entendue par l’exécutif. Les Sénateurs se battent pied à pied pour les maires, notamment au travers de la loi de finances pour préserver les budgets des communes déjà bien éprouvés. Qui d’autre que le Sénat pour le faire ?
Le Sénat est souvent une institution décriée, qualifiée d’anachronique. Que répondez–vous à ceux qui la critiquent ? A-t-elle changé et doit-elle encore évoluer ?
Je crois qu’il y a surtout beaucoup de méconnaissance de la Chambre Haute derrière cette épithète ! Le bicamérisme est un rouage essentiel de notre démocratie. L’Assemblée nationale est la voix du peuple ; le Sénat, la voix des territoires et tout cela forme un équilibre : on ne peut bâtir une politique uniquement sur la démographie. Le risque sinon est de faire une France où tous les financements seront fléchés vers les métropoles en délaissant la France rurale et péri-urbaine qui grâce au mode de scrutin du Sénat, peut être représentée, défendue et où des projets peuvent naître et aboutir. Les Sénateurs sont élus par des grands électeurs (maires, conseillers départementaux et régionaux, personnes qualifiées…) et cela permet justement cette représentation équitable du visage des territoires.
Par ailleurs, le calendrier législatif induit naturellement une Assemblée nationale où la majorité présidentielle est ultra représentée : en juin 2017, 318 députés sur les 577 étaientLaRem ! Le Sénat est à ce titre le seul lieu où peut s’exercer un contre-pouvoir et il joue pleinement son rôle de contrôle du gouvernement, via notamment ses commissions d’enquête. Sans le Sénat, il n’y aurait pas eu la révélation de l’ampleur des mensonges dans l’affaire Benalla par exemple.
C’est aussi le cas depuis le début de cette crise sanitaire où, à travers le Sénat, l’opposition a pu s’exprimer et alerter sur les différentes décisions du gouvernement. Le Sénat n’est pas un organe politique d’opposition systématique. Il faut se souvenir qu’à l’origine, ce conseil des anciens est avant tout un conseil des sages. Notre objectif est l’intérêt de la France à long terme, hors des querelles partisanes et opportunes.
Il y a sans doute un effort supplémentaire à faire auprès du grand public pour mieux faire connaître le Sénat mais les moyens d’informations ne manquent pas : la chaîne Public Sénat et le site sénat.fr sont très bien faits pour qui s’intéresse réellement à l’institution.
Vous avez co-écrit un rapport avec le sénateur Yannick Botrel sur l’agriculture biologique. Quels sont les grands enseignements de ce rapport ?
Je dois dire que ces rapports sont élaborés sur de longues périodes et rédigés à l’issue de nombreuses auditions, visites de terrain, etc. Je tire d’ailleurs mon chapeau aux conseillers du Sénat qui préparent le travail en amont pour que ces rapports, très attendus, soient le plus fidèles à la réalité quitte à en déranger certains ! Sur l’agriculture biologique, plusieurs points saillants sont à évoquer :
Le manque de transparence dans le mode d’octroi des crédits à l’AB (NDLR : agriculture biologique) et les retards dans la chaîne de paiement depuis l’Europe ;
Le manque de crédits alloués à l’AB, alors que la demande des consommateurs est en hausse, nous forçant à importer en masse depuis des pays étrangers, un point d’autant plus problématique que les normes ne sont pas les mêmes partout et qu’un produit bio en France, soumis à des règles extrêmement strictes, ne subit pas les mêmes exigences lorsqu’il vient d’autres pays européens par exemple. Or, les crédits de l’Europe pour l’AB ne prennent pas en compte ces disparités et c’est une grande injustice pour nos agriculteurs qui sont exemplaires ;
Enfin, les crédits du CASDAR (Compte d’affection Spécial au Développement Agricole et Rural alimenté par une taxe payée par les agriculteurs sur leur chiffre d’affaires) sont une mauvaise plaisanterie faite sur le dos des agriculteurs qui payent pour que la recherche agronomique leur propose des solutions technologiques : ces crédits sont en baisse constante, la recherche piétine au point que lorsque la filière betteravière souffre à cause du virus de la jaunisse, on en est réduit à ressortir les néonicotinoïdes que la France s’était pourtant engagée à ne plus utiliser.
Territoire, agriculture, viticulture, patrimoine… vous êtes attaché à ces valeurs. Peut-on encore concilier ces valeurs avec l’écologie urbaine ?
L’écologie urbaine recouvre deux choses : c’est stricto sensu l’étude de la ville comme écosystème ou, et je pense que c’est là votre question, l’irruption de la nature en ville et les moyens de rendre la ville plus respectueuse de l’environnement. Faire des coulées vertes, planter des arbres, recréer des espaces verts ou des potagers en ville… je ne peux que saluer ces initiatives, si elles sont faites en concertation avec les habitants et les institutions. Même si on ne trouvera que rarement en ville des espaces non maîtrisés, comme c’est le cas dans les campagnes.
C’est Alphonse Allais qui disait « il faudrait construire les villes à la campagne, l’air y est plus sain ». C’est aussi dire qu’il faut que les territoires se développent en fonction de leurs spécificités. Mais je ne vois pas en quoi cela s’oppose à ce que vous appelez des valeurs : le Parisien aime aussi sa ville, parce que Paris est un musée architectural à ciel ouvert. Lorsque Notre-Dame a brûlé, beaucoup ont pleuré et se sont violemment opposés à toute reconstruction trop avant-gardiste…
Pour moi, l’agriculture ou la viticulture ne sont pas seulement des « valeurs », notion d’ailleurs qui ne veut pas dire grand-chose, à moins de verser dans un folklore imaginaire, car il y a autant d’agricultures ou de viticultures que d’agriculteurs ou de vignerons. L’agriculture et la viticulture sont avant tout des pans de notre économie, des secteurs d’innovation, de réflexion et d’anticipation des enjeux alimentaires mondiaux. A ce titre, un agriculteur de ma Côte-d’Or peut parfaitement dialoguer avec un maraîcher urbain : ils auront forcément des choses à se dire et à échanger !
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