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Il est normal que la société civile organisée soit associée à la gestion du déconfinement


Interview de Patrick Bernasconi, Président du CESE

L’opinion ne le sait pas assez, mais votre institution, le Conseil économique social et environnemental, est l’une des principales institutions de l’État. C’est une institution consultative, saisie pour avis par le Gouvernement sur de nombreuses propositions de lois. Elle est composée de représentants du monde économique, social, culturel, environnemental. Avec quels mots pourriez-vous aujourd’hui présenter votre « maison commune » ?

Pour présenter le Conseil économique, social et environnemental, je dirai premièrement que c’est la troisième assemblée constitutionnelle aux cotés du Sénat et de l’Assemblée Nationale ; c’est la chambre de la société civile organisée. La différence entre le CESE et l’Assemblée ou le Sénat est inscrite dans la Constitution de 1946. Le CESE a pour vocation de représenter les corps intermédiaires, à travers les 80 organisations les plus importantes de notre pays, associations, ONG, syndicats, jeunes, entreprises, défenseurs de l’environnement … Ces organisations engagées sur le terrain, partout sur notre territoire, sont réunies et ont pour mission d’éclairer les pouvoirs publics sur les grands enjeux relevant des domaines économiques, sociaux, et environnementaux.

Je dirai deuxièmement que nous construisons du consensus: concrètement, nous n’avons pas pour vocation de faire la loi, mais d’arriver à dégager des pistes de travail communes entre les différentes composantes de la société civile organisée. L’objectif est de créer du compromis sur des sujets sur lesquels s’opposent à l’extérieur des catégories qui ne se parlent pas, ou ne se rencontrent qu’en situation de conflictualité, par une méthode de dialogue intelligent. Ici, la parole infuse, et c’est en effet primordial, afin de donner ce que nous appelons l’acceptabilité sociale et sociétale des réformes, de la réforme en général. A cette fin, nous rendons des avis à destination des pouvoirs publics, soit par une saisine du Gouvernement ou du Parlement, soit par un mécanisme d’auto-saisine. Peu connus des Français, vous êtes néanmoins de plus en plus sollicités par le Gouvernement pour de nombreux avis. Vous vous êtes convertis depuis le début de ce quinquennat, à la démocratie participative avec le Grand Débat, lors de la crise des Gilets Jaunes, puis, avec la convention citoyenne. Finalement, après avoir failli disparaître, le CESE n’a t-il pas trouvé sa place entre les citoyens et les pouvoirs publics ?

Cette mandature a été construite sur un programme et autour de deux axes stratégiques : favoriser la cohésion sociale et réussir les transitions. Depuis maintenant plusieurs années, nous avons constaté l’émergence dans notre démocratie d’une forte demande de participation des citoyens, d’un besoin d’être associé à la décision publique. Aussi, lors de mon élection, il nous est apparu essentiel d’engager au sein du CESE des nouvelles modalités de travail et de prise de décision pour ouvrir notre institution et prendre en compte de différentes manières, cette demande forte qui s’exprime dans la société. La conviction que j’ai eue, c’est qu’afin d’assurer pleinement son rôle de trait d’union entre les citoyens et les pouvoirs publics, et d’éclairer au mieux le Gouvernement et le Parlement sur les attentes de nos concitoyens, il était impératif que notre institution puisse associer des citoyens à nos travaux et donner à leur parole un débouché institutionnel. Les expériences participatives qui ont été progressivement mises en place au CESE ont largement démontré l’intérêt commun de ces démarches ; la parole citoyenne venant enrichir la vision de la société civile organisée.

Nous avons donc mis en place des ateliers relais et délibératifs de citoyens, des plateformes consultatives, puis expérimenté le tirage au sort de citoyens – en 2018, 30 citoyens ont travaillé avec les membres du CESE sur l’avis Fractures et Transitions, qui représente la contribution de notre Institution au Grand Débat National, remis au Gouvernement en mars 2019. Ce tirage au sort était une première dans l’histoire d’une assemblée constitutionnelle. Depuis janvier, 30 citoyens tirés au sort co-construisent avec les membres du CESE le projet d’avis « Générations nouvelles : quelles promesses pour quel avenir ? ».

Par ailleurs dès 2018, nous avons installé un comité de veille de pétitions qui nous permet d’observer les préoccupations des Français qui émergent et maillent le territoire national. Ce sont autant de signaux faibles qui peuvent donner lieu à des saisines du Conseil et au cours desquelles nous entendons les mandataires de ces pétitions qui peuvent ainsi porter l’interpellation des milliers de Françaises et de Francais qui ont signé leur pétition. Au total à ce jour, 22 pétitions ont été traitées au CESE, 30 pétitionnaires ont été auditionnés, cela représente 6 millions de signatures. Par ailleurs, en 2020, nous avons labellisé 3 plateformes de recueil de pétitions.

Par cette vision partagée, le CESE devient l’assemblée d’expression de la société civile, étape intermédiaire indispensable à une vision partagée des politiques publiques, échelon fondamental pour plus de cohésion sociale. Cette transformation de notre Conseil est pour nous un acquis important, qui d’ailleurs a rencontré le projet de réforme constitutionnelle du Président de la République. En plus de se voir saisi sur tous les sujets sociaux, économiques et environnementaux, un chapitre entier du projet de réforme est consacré à la participation citoyenne dans notre Conseil. Il est nécessaire aujourd’hui que cet acquis trouve une traduction institutionnelle, et que la participation citoyenne soit adossée à une assemblée constitutionnelle, qui seule, peut garantir l’indépendance de la démarche. En septembre 2019, vous étiez venu présenter au Premier Ministre, le rapport du CESE sur l’état de la France. Parmi la liste de recommandations à l’égard de l’exécutif, vous aviez évoqué la nécessité d’une ré-industrialisation du pays, comme moyen de résoudre les inégalités sociales et le chômage. Une recommandation qui prend tout son sens aujourd’hui dans la crise que nous traversons ?

La crise que nous traversons à l’heure actuelle est inédite, et bouleverse notre société dans son ensemble, et ce dans tous les domaines : au niveau sanitaire bien sûr, mais aussi économique, social et environnemental. Le chantier de reconstruction qui s’ouvre devant nous est un défi, et si rien ne pouvait prédire l’ampleur de la crise que nous vivons, cette crise met en forte tension notre économie, ce qui pourrait conduire à une crise sociale dont nous ne percevons pas les contours. Dans tous les cas, ce qui se passe actuellement vient reposer des questions qui se posaient déjà dans certains domaines.

Il faut voir plus largement comment nous nous inscrivons dans un nouveau modèle de société, pour répondre aux différentes fractures qu’il y a dans notre pays : fractures territoriales, écologiques, sociales, numériques ; tout en faisant en sorte que l’économie redémarre. Cela passe par de la négociation, sinon les choses seront brutales, incomprises et rejetées. Il est vrai que si nous reprenons certains avis votés par le Conseil, bon nombre de préconisations résonnent particulièrement à l’heure actuelle. Nous avions dégagé des propositions par exemple sur la ré-industrialisation du pays, ou encore sur les EHPAD… A titre d’exemples, en 2017, nous préconisions dans l’avis « Les déserts médicaux » le développement de la télémédecine, qui, pour faire face à la crise sanitaire s’est considérablement développée. Plus récemment en novembre dernier, dans l’avis « La réinsertion des personnes détenues, l’affaire de tous et toutes », nous préconisions le recours à des peines alternatives dans un objectif de diminution de la population carcérale. Permettez-moi de revenir sur votre rapport sur l’État de la France. Encore une fois, vous proposiez ce que certains prônent aujourd’hui dans la relance : une prise en compte de la nécessaire transition énergétique, le développement de l’économie verte et des investissements pour lutter contre le réchauffement climatique. La convention citoyenne pour le climat est aussi une belle occasion pour le CESE de faire des propositions dans le domaine environnemental. Avez-vous eu l’occasion d’échanger récemment avec le Gouvernement et le Président de la République sur ce sujet ? Le Président de la République est très attentif au bon déroulement de cette convention citoyenne, et je suis pour ma part aussi très en attente, que cet exercice réponde aux questions posées. Cela veut dire que l’exercice délibératif, ces principes d’impartialité et de sincérité voulus par le Premier Ministre et les méthodes d’animation qui en résultent doivent être préservés jusqu’à la fin de la production de la Convention, comme des piliers de sa légitimité. Chaque citoyen de la CCC est une brique nécessaire à la réussite de cet exercice démocratique inédit. Comme le chef de l’Etat l’avait annoncé et le moment venu en fonction des conditions sanitaires, il entend revenir au CESE, afin que les citoyens puissent lui remettre, eux-mêmes, leur rapport. Les propositions feront partie de la réflexion collective que nous devons mener pour sortir de cette crise, c’est la marque de cet exercice démocratique inédit. Et je suis heureux que ce soit le CESE qui ait été choisi pour le mener à bien. Nous en tirons beaucoup d’enseignements, afin que demain le CESE puisse avoir recours en tant que de besoin à cette méthode de participation citoyenne, comme à d’autres. Nous devons avoir une palette d’instruments, afin de pouvoir faire participer, d’associer les citoyens à l’élaboration des politiques publiques. De quelle manière votre institution sera-t-elle sollicitée dans le cadre du plan de relance post-confinement ? Par la nature de votre institution, n’êtes-vous pas le gardien du pacte social, – socle et condition de la relance économique post-confinement ?

J’ai été reçu par le Président de la République le 21 avril dernier, dans le cadre de la consultation des trois assemblées. Au cours de cet entretien, le Président de la République m’a fait part du rôle qu’il proposait de faire jouer au conseil dans le cadre de la crise du coronavirus, du déconfinement, puis des difficultés conséquentes de cette crise. Le conseil pourra pleinement jouer son rôle d’éclairage des pouvoirs publics avec trois missions :

– Le CESE serait saisi sur des projets suivant le dispositif habituel de la saisine, et le Conseil devra donc adapter ses méthodes de travail à l’urgence de la situation comme il sait le faire ; – La mission, présidée par Jean Castex, sur la sortie du confinement sera susceptible de consulter le CESE, et de ce fait le Bureau pourra être en mesure de lui apporter en retour directement son éclairage ; – Enfin, le Président de la République souhaite que je puisse lui faire part des actions et des réalisations des organisations sur le terrain ainsi que des difficultés, des blocages, des inquiétudes qu’elles perçoivent. Le rôle de la société civile durant cette crise a été souligné par l’ensemble des responsable politiques. Il est donc normal que la société civile organisée soit associée à la gestion du déconfinement et à l’élaboration des réponses aux crises conséquentes de cette épidémie.

Par ce biais, je suis certain que l’avis de la société civile organisée prendrait une place accrue dans la réflexion et l’action nécessaires pour que notre pays se redresse du mieux possible après cette terrible crise. Par cette action, le CESE, votre assemblée, jouera encore plus son rôle d’éclairage des Pouvoirs Publics.

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