Tribune de Michel Derdevet, Essayiste, Maître de Conférences à l’IEP de Paris, Professeur au Collège d’Europe de Bruges, Vice-président de la Maison de l’Europe de Paris
Le 9 mai 1950, dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay, le ministre des affaires étrangères français, Robert Schuman prononçait, dans son discours préfigurant la création de la CECA, ces mots célèbres : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent ».
Comment ne pas se remémorer, à l’aune de la crise sanitaire que nous traversons cette formule inspirée d’il y a soixante-dix ans ? Et comment ne pas voir qu’il nous faudra, demain, redoubler d’effort européen commun pour subsumer le « narcissisme des petites différences » (nationales), pour reprendre la formule de Sigmund Freud ?
Ces derniers jours, des voix inquiètes se sont levées partout en Europe, certaines craignant que l’ambition climatique que l’Europe s’est donnée l’an dernier à travers le « Pacte Vert » ne soit remise en cause, d’autres l’appelant de leurs vœux. Le débat n’est pas nouveau ; il est même consubstantiel à la construction européenne, entre pro et anti-européen. Reste la réalité, qui est têtue ! La lutte contre le changement climatique, source de tous nos maux, doit rester l’objectif premier de nos économies continentales, et la neutralité carbone à l’horizon 2050 le cap à conserver. L’effondrement instantané, mais momentané, du prix mondial des énergies fossiles ne doit pas nous inciter à des choix de courte vue et nous faire oublier le défi climatique à moyen-long terme, qui suppose de converger rapidement vers une Europe décarbonée.
Rien ne serait pire en effet qu’une accélération du réchauffement de notre planète, qui enchaînerait ipso facto la crise climatique et la crise sanitaire. Pour cela, un prix plancher du carbone significatif s’impose en Europe, permettant de tourner définitivement la page du « XXème siècle fossile ». Agir séparément en ce sens, par des politiques nationales désordonnées, non coordonnées, ne pourrait qu’être néfaste à nos économies nationales, exsangues à la sortie de cette crise sanitaire.
Plus que jamais, nous devons mutualiser nos efforts, penser aux économies d’échelle et à l’efficacité collective engendrées par une approche européenne volontariste. Pionniers, nous sommes restés ces dernières décennies aux avant-postes face aux défis technologiques (déploiement de nouveaux moyens de production, rénovation massive des parcs immobiliers, invention de nouveaux modèles énergétiques locaux), sociétaux (acceptabilité d’une évolution des modes de vie) et économiques (activation de nouveaux circuits de financement et mobilisation de l’épargne), qui structurent la transition énergétique.
Nous devrons demain, à l’heure des « communautés citoyennes », continuer à « faire système », afin de délivrer une énergie (électricité et gaz) dans les meilleures conditions d’efficacité et de coût. Cela doit rester un impératif absolu pour la sécurité d’approvisionnement des Européens, notre confort de vie, la compétitivité de nos entreprises et donc de nos emplois.
La manière de relever ce défi dépendra bien sûr des choix effectués dans chaque État Membre – et, de plus en plus, dans chaque région ou collectivité – mais les solutions trouvées devront s’insérer dans des systèmes énergétiques solidaires, dont les réseaux forment déjà, sur des millions de kilomètres, l’architecture.
L’article 194 du traité de Lisbonne trace déjà la voie à une intervention plus forte de l’Union en la matière. Mais les Européens doivent aller au-delà, et explorer au plus vite de nouveaux espaces de coopération, d’innovation et d’investissements conjoints. L’efficacité énergétique nécessite ainsi une impulsion majeure, notamment dans les logements sociaux, les hôpitaux et les écoles. De même, les infrastructures de réseaux numérisées et le stockage d’énergie devraient à l’évidence faire partie intégrante du vaste plan de relance de l’économie européenne que la Commission prépare, qui doit esquisser des domaines concrets de coopération renforcée. Enfin, un « bouclier énergétique européen » s’impose, pour protéger les plus démunis et lutter efficacement contre la précarité énergétique. Le défi se révèle de taille, car des centaines de milliards d’investissements devront être engagés d’ici à 2030, et il n’est nul besoin d’argumenter pour se convaincre que, dans une Europe post-coronavirus convalescente, chaque euro devra être investi avec le plus grand souci d’efficacité. Mais cette « Europe énergétique unie » est à l’évidence est d’une urgente nécessité !
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