Tribune de Corinne Isnard Bagnis, Néphrologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et Professeur à Sorbonne Université.
Subitement, notre société qui s’est lentement, mais sûrement organisée pour accompagner des patients vivants avec une ou plusieurs maladies chroniques, se trouve confrontée à des milliers de personnes qui souffrent d’une affection aiguë. La victoire sur la maladie virale se passe dans l’endroit le plus apparemment déshumanisé des hôpitaux, ce lieu où bruissent les respirateurs. Incroyable ironie du sort, qui, brutalement dépose la vie des citoyens en quête de plus d’humanité dans la médecine, dans les mains gantées des indispensables réanimateurs.
Ainsi donc, il y aurait deux catégories de soignants, celle des « chroniques » et celle des « aigus ». Des camps qui ne se connaissent pas bien et se fréquentent peu. Dès le début de l’épidémie, les « chroniques » ont été priés de « déprogrammer » leurs patients, personnes très lourdement malades, conviées plusieurs fois par an à l’hôpital pour y bénéficier de soins médicaux, mais aussi d’un accompagnement et d’activités éducatives essentielles à leur prise en charge. Les visites ont été remplacées par des appels téléphoniques, et lorsque c’est possible par des téléconsultations.
Toutes les forces médicales ont été redéployées « sur le front », en commençant par les plus jeunes et ceux dont la formation à la réanimation était la plus solide. Trop loin de ses exploits « réanimatoires », la néphrologue, archétype du médecin de malades chroniques, a pris son poste à la régulation téléphonique de la plateforme Covidom.
Passant en moins de trois semaines de 5 à plus de 300 collaborateurs, cette plateforme de télésuivi à domicile, pour le moins agile, offrant une surveillance aux personnes infectées par le COVID-19, gère les alertes générées en ligne par les réponses aux questionnaires reçus tous les jours de ceux que l’on a renvoyés chez eux pour y guérir de l’infection. Et là, quelle surprise, au téléphone, alors que le doigt est à quelques centimètres de la touche qui bascule l’appel téléphonique sur la ligne du SAMU, cherchant à identifier celui ou celle qui ne doit pas rester à domicile et plutôt rejoindre l’hôpital, c’est un pur acte d’éducation thérapeutique qui se joue.
De l’éducation à la santé (conseils pour prendre soin de soi, alimentation, fièvre, hydratation, sommeil, douleurs), de l’écoute bienveillante, de la ré-assurance, de la promotion des compétences d’auto-soin. Un diagnostic éducatif en accéléré, pour mesurer les conditions du confinement, le risque de contamination des proches, les relations entre personnes confinées, la réalité du ravitaillement. Même les plus jeunes, seuls parfois, fébriles et essoufflés, ont besoin de ce lien téléphonique pour aller mieux. N’est-ce pas cela, le « care » ?
Mais, alors que la file des brancards se fait moins dense à l’accueil des soins intensifs, il faudra tirer les leçons de cette incroyable expérience de la pandémie. N’y a-t-il pas une place pour toutes les médecines, pour le « care » et pour le « cure » dans le soin d’autrui ? Biographie : Corinne Isnard Bagnis
Corinne Isnard Bagnis est Praticien Hospitalier en Néphrologie à l‘hôpital de la Pitié-Salpétrière et Professeur de Néphrologie à Sorbonne Université.
Elle est promoteur du 1er MOOC Européen sur les Maladies Rénales, acteur du développement de la Néphrologique ambulatoire et numérique par la télémédecine et co-auteur d’un ouvrage sur la e-santé « La e-santé en questions » (Editions Hygée – 2020) Son implication dans l’accompagnement des patients a conduit à la création des premiers programmes universitaires de diplomation des patients en éducation thérapeutique à Sorbonne Université et au prix IDSA de l’Académie de Médecine en 2009.
Son engagement dans l’accompagnement des soignants et la formation à la relation de soin s’est concrétisé depuis 2015 par la création du premier programme de formation continue pour les soignants « Méditation, gestion du Stress et relation de Soin » à Sorbonne Université. Sur ce thème, elle a publié deux ouvrages sur la Méditation de Pleine Conscience dans le champ de la santé, intitulés : « La méditation de pleine conscience » (Que Sais-je ? Editions PUF – 2017) et « La Pleine Conscience au service de la Relation de Soin » (Edition De Boeck – 2017).
Elle reçoit le 1er janvier 2020 la distinction de Chevalier de la Légion d’Honneur pour ces travaux.
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